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C’est quoi un bon entrepreneur du médico-social ?

15 Jan 16 | Management, Médico-social | 0 commentaires

Cet article présente les enjeux complexes du concept d’entreprenariat dans le secteur social et médico-social, il en montre aussi les limites qui font sa singularité, digne d’exemplarité.

Dans le monde de l’économie classique, le bon entrepreneur sera le personnage qui pourra donner satisfaction, bien sûr à ses clients au sens traditionnel, mais aussi à ses partenaires que sont les actionnaires, les salariés, sans oublier la puissance publique censée représenter l’intérêt général.

Les biens et services produits dans ce cadre marchand sont en général des biens que l’on appelle exclusifs et rivaux. Exclusifs car tout le monde ne peut pas en profiter : ils deviennent la propriété de celui qui en a payé le prix. Rivaux car l’utilisation du bien acheté réduit la quantité disponible pour les autres.
Dans le monde du médico-social les choses sont le plus souvent fort différentes. Les biens et services produits sont souvent des droits qui introduisent l’idée de non-exclusivité : tout le monde- évidemment sur la base de critères précis- peut profiter des largesses de la loi 2005-102, et qui introduisent aussi l’idée de non-rivalité : l’utilisation ne vient pas réduire le stock de ressources disponibles puisque -au moins en théorie- les guichets restent ouverts.

La gestion globale des entrepreneurs du médico-social ressemble ainsi à la gestion par les pêcheurs du domaine maritime d’avant les premières réglementations qui, elle aussi, se trouvait en face des caractéristiques de non-exclusivité : tout le monde pouvait pêcher, et de non-rivalité : le stock de poissons était à priori illimité.
Tant que les ressources produites par les Etats (l’impôt) ou produites par la mer sont immenses, ces caractéristiques de non-exclusivité et de non-rivalité se maintiennent. Pour autant le mode de gestion qui va prévaloir chez les entrepreneurs correspondants est plutôt celui que les économistes appellent parfois la « tragédie des communs ». Parce qu’en concurrence pour l’accès à la ressource halieutique, la gestion des pêcheurs fut celle d’une hausse continue des prélèvements et finalement la raréfaction de la ressource. Les économistes libéraux en déduisent que c’est en privatisant la mer que la bonne gestion des ressources – le soin apporté à leur reconstitution – sera assurée.

Cette voie est bien sûr celle qui garantit encore la compétition et la concurrence entre acteurs sur le marché. De façon fort différente, on pourrait envisager- en lieu et place de la compétitivité et de la concurrence – un esprit de solidarité comme celui régnant dans les vieilles communautés qui depuis parfois 1000 ans gèrent la circulation de l’eau entre des parcelles appartenant à des familles de cultivateurs. Une réglementation commune sans passer par les Etats pourrait gérer la ressource halieutique au bénéfice d’un intérêt commun de long terme. Evidemment, les pêcheurs ne se connaissant pas et souvent ne parlant pas la même langue, auraient énormément de mal à coopérer en vue de l’établissement d’une règle commune.

Les entrepreneurs du médico-social ne sont pas des pêcheurs et globalement ils sont moins en compétition entre–eux que dans le monde de l’économie classique. Pour autant ils font face à un problème de ressources publiques comme les pêcheurs font face à un problème de ressources halieutiques…et se retrouvent de fait plus ou moins en concurrence pour l’accès à la ressource publique devenue limitée. Une limite qui transforme progressivement les services médico-sociaux en biens exclusifs et biens rivaux : le nombre et la dimension des établissements se trouvant limités, leur utilisation par des usagers prive d’autres usagers d’un accès aux services. A un niveau plus global, la rareté pourra donner lieu à des formes de clientélisme auprès des gardiens de la ressource.
De fait, la bonne gestion du secteur médico-social consiste à maintenir le plus possible le double caractère de non-exclusivité et de non-rivalité des services rendus aux usagers. En cela elle ne fera que copier de façon plus responsable les pêcheurs, lesquels luttent contre le même double caractère par la hausse de la productivité de la pêche : la ressource diminue mais si je dispose d’instruments de pêche plus productifs, je pourrai maintenir mon activité destructrice plus longtemps.

Le bon gestionnaire du médico-social ne détruit pas la ressource comme cela se passe hélas pour nombre d’activités prédatrices de la nature, par contre il se doit de retarder l’irruption de l’exclusivité et de la rivalité en développant l’efficience de son établissement. En se montrant gestionnaire avisé, en quête d’un contrôle de l’ensemble des coûts associés aux services rendus, il contribue à maintenir l’immensité de la ressource. Il contribue à contenir le risque d’exclusivité et celui de rivalité qui frapperaient des ayants droits devenus des exclus.
La vraie concurrence à l’intérieur du secteur est celle de l’efficience, une efficience qui n’a pas pour objectif de manger le voisin, de prendre des parts de marché, mais à l’inverse de maintenir le plus longtemps possible une production de services respectant la double contrainte de non-exclusivité et de non-rivalité, gage du respect des valeurs de la République.

Et pour cela il existe aussi une règle morale que tout entrepreneur du médico-social doit avoir en tête, une règle qui nous vient d’un célèbre philosophe, Emmanuel Kant : « Agis comme si la maxime de ton action devait, par sa volonté, être érigée en loi universelle ».

Jean-Claude WERREBROUCK

Economiste et sociologue, Jean-Claude WERREBROUCK participe depuis plus de 20 ans au projet pédagogique d’Espace Sentein.

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